La Vénus à la fourrure, tel épris qui croyait prendre


La Vénus à la fourrure, le nouveau film de Polanski
, arrive enfin sur les écrans espagnols. Un huis clos sadomasochiste entre Emmanuelle Seigner et Mathieur Amalric inspiré de l’oeuvre célèbre de Sacher-Masoch. Une oeuvre magistrale, du grand Polanski, à ne surtout pas manquer en ce début d’année cinéma. À l’affiche le 31 janvier.

Fin de journée. Travelling avant boulevard des Batignolles sous la pluie, la caméra nous mène lentement vers les portes du théâtre. Elles s’ouvrent. Là, un metteur en scène fiévreux est au téléphone. Il vient de faire passer des auditions à quantité d’actrices et se plaint de ne pas avoir trouvé l’héroïne pour la pièce qu’il est en train de monter. Une adaptation de La Vénus à la fourrure.

Quand surgit une comédienne, plutôt une anti-héroïne, sous les traits d’une femme trop fardée, fagotée comme une demi-mondaine d’aujourd’hui, et franchement vulgaire. Peut-elle incarner Wanda, la sulfureuse dominatrice de l’œuvre du sadomasochisme ? La fille ne cadre pas du tout avec les espérances de Thomas, metteur en scène infatué. Quand l’audition commence, on ne donne pas cher de la pauvre comédienne, qui se révèlera pourtant absolument extraordinaire. N’a-t-on pas dit longtemps, très longtemps, qu’Emmanuelle Seigner n’était pas une bonne actrice ? Et ne dit-on pas depuis tous ses derniers rôles (Quelques heures de printemps, Dans la maison) qu’elle est de plus en plus épatante ? Elle trouve ici le rôle de sa vie ! On s’amusera aussi à penser que la Wanda du début nous rappelle une autre Seigner, Mathilde, la sœur ! 

Ici, tout s’imbrique, tout s’enchâsse. La littérature adaptée au théâtre, le tout dans un film. La fiction, le réel. Et plus loin encore, le roman de Sacher-Masoch ne nous renvoie-t-il pas à la réputation sulfureuse de Polanski ? Elle ne nous intéresse pas à priori mais vient pourtant enrichir le film à son tour. On en deviendrait pervers…

Au fur et à mesure du film, on comprend que la postulante a plus d’un tour dans son complet guêpière-corset de cuir. Elle se prénomme Wanda, comme le personnage du roman de Sacher-Masoch, est-ce un mensonge ? un présage ?…  le fruit du hasard ou, pourquoi pas, une forme d’incarnation ?…

Le film nous emmène au cœur même de la création artistique et des rapports de pouvoir qu’elle implique. On y voit d’abord un metteur en scène (Mathieu Amalric) humilier une comédienne (Emmanuelle Seigner).  « Sa » comédienne, comme on dirait « sa » chose. Le jeu de miroirs a commencé. On connaît l’exigence de Polanski et les frictions qu’il a pu rencontrer avec nombre de ses comédiens par le passé… Mais au fil du film, la relation va s’inverser, la comédienne va lentement, violemment, prendre le dessus, dominant « son » metteur en scène de ses pouvoirs, et de son talent. On touche au plus grand mythe, au secret le mieux gardé de l’histoire du cinéma, les stars et leurs metteurs en scène, les réalisateurs et leurs actrices…

Le trouble s’insinue d’autant plus chez le spectateur qu’Emmanuelle Seigner est l’épouse de Polanski, depuis près de 25 ans. N’est-ce pas là, sur grand écran, le plus intime de leur relation qui est en train de se jouer devant nous ? Seigner devant la caméra, Polanski derrière. Et entre eux, le clone de Polanski, Mathieu Amalric (le plus grand acteur français actuel) qui, au fur et à mesure du film, ressemble toujours plus à Roman. Même silhouette, même allure, même coupe de cheveux. 

Fait extraordinaire, les deux intéressés prétendent ne pas s’être rendus compte de leur gémellité en devenir lors du tournage. Du pur Polanski avec ce goût du huis clos infernal, mais jamais claustrophobe, pour mieux cerner les caractères (au sens anglais), de chacun. Un huis clos où l’actrice domine, possède. Et jusqu’à la scène finale, sorte d’acmé, d’apothéose, et tout un symbole que nous ne dévoilerons pas ici. Du grand art. La vénus à la fourrure est un film formidablement ludique qui s’adresse à l’intelligence du spectateur cinéphile. Seul un sublime plan final inversé sur les arbres du boulevard des Batignolles vient nous ramener à notre terne réalité. La semaine dernière, un grand hebdomadaire français publiait  un long article sur une très grande comédienne, actuellement sur scène à Paris. On pouvait lire ces quelques mots : « Le metteur en scène peut tourner autour d’elle, il ne la dominera jamais. »  La légende peut continuer…

© Corinne Bernard et Bertrand Dentz.

 

La Vénus à la fourrure (La Venus de las pieles), un film de Roman Polanski (2013), avec Emmanuelle Seigner et Mathieu Amalric, d’après la pièce de David Ives (adaptation du roman de Sacher-Masoch). À l’affiche en Espagne le 31 janvier 2014.

 

 

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